Modèle drosophile
Nous nous intéressons depuis quinze ans aux « gènes dépendant de la fréquence ». L’essentiel de ces travaux ont été effectués sur le modèle drosophile avec en perspective le fait que les phénomènes décrits chez la mouche semblent universaux et/ou pertinents pour l’ensemble du règne animal et/ou végétal. En bref, lorsque une population de drosophile est maintenue dense durant X générations, les transcrits de certains allèles de gènes sont exprimés à un niveau très élevé. En fait la proportion des individus exprimant ces allèles augmentent de manière progressive après chaque génération jusqu’à ce que ces transcrits soit exprimés chez la presque totalité des individus. A l’opposé, une faible densité de population maintenue dans les mêmes conditions de culture pendant X générations induit le mécanisme inverse à savoir la disparition relative et progressive de la proportion d’individus exprimant les dits allèles. Le gène for correspond à cette définition et a fait l’objet de nombreuses études initiées par notre collègue Marla Sokolowski de l’Université de Toronto.
Nous nous sommes focalisé ces dix dernières années sur les conséquences de l’expression des allèles « fréquence dépendant » de for. for code pour une famille de kinases activées par le GMP cylique. Des transcripts du gène for induit le phénotype Rover lequel est enrichi en forte densité de population et se caractérise par des comportements d’exploration et de dispersion très caractéristique chez la larve. A l’inverse, des transcrits alternatifs induisent le phénotype sitter enrichi en faible densité et se caractérise par la sédentarité des individus. Les différences comportementales hautement significatives entre les deux groupes s’accompagnent d’effets pléïotropes dans la sphère neurosensorielle. Les conséquences observables sont des aptitudes plus aiguisées à la détection de signaux coincidentaux qui constituent un mécanisme de guidage pour le succès de la dispersion chez les Rover.
Le gène for est un modèle de référence dans les manuels universitaires en ce qui concerne l’expression des gènes « fréquence dépendants ». Ces travaux sont enseignés dans les disciplines de l’écologie moléculaire et comportementale. Ces résultats ont aussi fait l’objet de nombreuses revues d’auteurs très divers allant de l’écologie comportementale et moléculaire aux neurosciences et régulation de l’expression de gènes.
Modèle abeille
Le second volet de nos travaux en collaboration avec Marla Sokolowski et Gene Robinson a consisté à vérifier chez l’abeille si le gène for manipule le destin des abeilles. En tant que insectes sociaux les catégories sociales du travail sont dépendantes de l’âge. Entre 1 et 3 jours les abeilles sont nettoyeuses de la ruche ; entre 3 et 7, nourricières et produisent la gelée royale par des glandes spécialisées ; entre 7 et 21, fabriquent la cirre (glandes abdominales) pour construire les alvéoles et finalement à partir du jour 21, deviennent butineuses. Dans l’obscurité de la ruche jusqu’alors, elles acquièrent à la lumière des capacités de mémoire et apprentissage, inexistantes dans les catégories antérieures. Ceci est un schéma statistique mais le passage à la fonction butineuse peut s’opérer au jour 4 à partir du pool des jeunes abeilles en cas d’évènement catastrophique (par exemple violent orage, intoxication chimique brutale). Ceci illustre la plasticité du « timing » de passage, contrôlée par la proportion relative des individus dans chaque catégorie et leur ajustement nécessaire au bon fonctionnement de la ruche. Notre fîmes l’hypothèse que de probables gènes « fréquence dépendants » régulent et contrôlent les passages en fonction des densités de population des catégories sociales. Nous avons montré avec les deux groupes pré cités (M.S. et G.R.) qu’un hétérologue du gène for manipule le passage ouvrière/butineuse, ce qui suggère la conservation des mécanismes moléculaires entre différents systèmes biologiques ayant trait aux signaux populationnels. Ce gène, par ailleurs présentant des fonctions ubiquitaires en signalisation cellulaire, semble une clef majeure et spécifique pour induire dispersion des individus dans une niche trop peuplée et/ou l’apparition de circuiterie neuronale pour l’exploration. Suite à l’activation du gène for des propriétés de catégorisation, mémoire et apprentissage, et de reconnaissance de figures géométriques complexes apparaissent chez l’abeille butineuse, complètement inopérantes jusqu’alors.
Modèle puceron
Cette espèce a fait l’objet de nos études récentes (depuis 3 ans). Brièvement la division asexuée conduit à des morphes distincts tel ailés/aptères, sexués males et/ou femelles lesquels sont produits selon la coïncidence de facteurs environnementaux (photopériodicité/ température, état de la plante infectée, densité de population). La beauté du modèle réside dans la gamme des variants comportementaux : les sédentaires aptères et/ou ailés tel des parasites d’une seule plante de la naissance à la mort, les dispersants sur de courtes distances (tel quelque mètres d’une plante à l’autre), les migrants sur de longues distances (plusieurs kilomètres voire quelques centaines); ces derniers variants, ailés, montent par géotropisme dans l’atmosphère et se laisse porter par les courants avant de retomber sur les couleurs vertes et/ou jaune (guidage partiellement contrôlé). Il est bien documenté que l’état de la plante et/ou les facteurs de densité de population influencent la destinée de l’embryon. Les pucerons sont des poupées russes : mère/embryons et embryons naissants dans l’embryon mature, ce qui fait que les conditions à un moment t vont se « lire » chez les petites filles. Le séquençage du génome et annotation des grandes familles de gènes sont publiés par le consortium (Plos Biology plus quarante « companion papers » dont le notre sur les neuropeptides).
Résultats marquants ces deux dernières années
Effets pleiotropes induits par un gène « fréquence dépendant » : for chez la drosophile
Les effets multiples induits par certains transcrits du gène for (« allèle » Rover) tant en compétences comportementales que modifications des structures neuronales (modèle abeille) et/ou changement dans l’expression de gènes en aval ont fait l’objet de nos études. Notre groupe a montré que l’exploration chez la drosophile est collective ce qui introduit un effet de groupe ou sub-socialité. L’alternative non retenue par la sélection naturelle serait une exploration individuelle stochastique avec le risque de dilution/disparition dans l’espace. L’écologie comportementale de la drosophile est faite de cycle d’agrégation d’individus sur des sites et d’exploration lorsque la ressource alimentaire s’épuise. L’exploration collective suppose la coïncidence et/ou intégration simultanée de signaux neurosensoriels (tel signaux acoustiques et visuels entre individus, signatures attractives olfactives et/ou visuelles en vue de guider les processus d’exploration/agrégation). Nous avons montré par diverses techniques de génétique et de biochimie que le gène for et sa voie métabolique contrôlent ces comportements. Les faits marquants de ces deux dernières années prolongent ces observations : nous avons montré une neurogenèse tardive et importante dans l’aile de la drosophile adulte après émergence du stade pupal. Cette neurogenèse est sous le contrôle partiel des conditions environnementales et du gène for. Nous avons montré que cette neurogenèse tardive fonctionne comme une fenêtre de plasticité en vue de corriger les déficiences du développement larvaire et génère un répertoire de variants « subtils » non héritables modulable par les conditions environnementales. Ces travaux récents ont été publiés dans Plos One (2008) et (2011).
Les gènes « fréquence dépendant » et les variants comportementaux et morphologiques chez une espèce parthénogénétique le puceron Acyrthosiphon Pisum
Nous avons observé que l’hétérologue du gène for est insuffisant pour manipuler l’apparition d’aile dans la division asexuée ainsi que pour induire les comportements de dispersion. Notre principale contribution est d’avoir montré que la division asexuée conduit à un large répertoire de variants manipulé par les conditions environnementales. Ce répertoire va bien au-delà des morphes visibles et implique une grande variation d’expression de gènes d’un individu à l’autre, ce qui semble hallucinant chez des individus clonaux; les conditions extrêmes sélectionnent certains variants sans jamais abolir le répertoire. Nos résultats montrent que des méthylations de l’ADN régulent la destinée comportementale et morphologique des pucerons adultes (Genome Research, Aout 2009).
Vers le concept de répertoire d’individus généré par la reproduction clonale et la régulation de sa distribution par les facteurs environnementaux
Notre contribution majeure ces deux dernières années est d’avoir montré l’étendue de la diversité moléculaire chez des individus clonaux (puceron A. pisum). Nos observations nous ont littéralement hallucinés. En bref nous sommes partis d’une femelle parthénogénétique unique et nous avons placé sa descendance clonale dans des conditions environnementales différentes. Par l’analyse systématique du génome (site de méthylations du génome, proportions méthylé/non méthylé sur des sites individuels, analyse du transcriptome différentiel entre variants) nous avons pu établir la carte des modifications épigénétiques à partir d’un génome inchangé. Ces études ont été réalisé par des techniques de type pyroséquençage et sont en cours d’analyse à l’aide d’outils de la bio-informatique. Le concept vient d’être publié dans Genome Research, 2009. Nous avons fait le parallèle entre la diversité moléculaire entre individus dans la reproduction clonale et les autres systèmes biologiques de répertoires à savoir le système immunitaire et olfactif des mammifères.
Enseignement
Aux Etats Unis, j’ai contribué à trois types d’enseignements dans le cadre de ma fonction de professeur adjoint à NYU (New York University):
J'ai enseigné la biochimie à des étudiants "gradués" dans le cadre d’un master biologie. Ces étudiants préparaient l'entrée dans une école de médecine ou l'entrée dans un programme de doctorat. Cet enseignement était basée sur les ouvrages emblématiques de Stryer intitulé "Biochemistry" (troisième édition), le livre de A. Alberts et collaborateurs "Molecular Biology of the Cell" et le livre de Kandel et Schwartz "Principles of Neural Sciences". Cet enseignement était de quarante heures par an.
J'ai aussi donné un enseignement de biologie moléculaire pratique et théorique à des étudiants dans le programme de master « biologie ». Cet enseignement était basé sur les manuels "Molecular Cloning" de Maniatis et sur "Current Protocols in Molecular Biology" de Struhl. Cet enseignement était de cent heures par an, vingt heures pour l’acquisition des bases théoriques et quatre vingt heures de travaux pratiques assurées avec l’aide de "tuteurs" étudiants en doctorat.
Le troisième type d'enseignement était la classe de "lecture" dans le cadre du programme du master « biologie » qui consistait à assister les étudiants dans la lecture de la littérature et l'écriture d'un mémoire sur un projet de recherche.
Plus récemment j’ai participé à des enseignements en master à l’université de Dijon en biologie et génétique du comportement et à un enseignement « genes et comportements chez les insectes » à l’Université de Nice.
Parcours et formation
- 1980-1982 : Interne à l'Hôpital Saint-Antoine. Département de biologie clinique, dirigée par le Professeur Polonowski. Travail sur les lipoprotéines et diabète. DEA de biophysique dirigé par le Professeur Gari Bobo et thèse, portant sur les récepteurs des opiacés dans le laboratoire du Professeur Roques.
- 1983 – 1984 :Poste d'accueil au CNRS dans le laboratoire du Professeur Rosselin sur la caractérisation moléculaire du récepteur au VIP (vasoactive intestinal peptide). Doctorant entre les laboratoires Roques et Rosselin
- 1985-1986 :Interne à l'Hôpital Necker dans le département de biologie clinique dirigé par le Professeur Bailly. Recherches cliniques sur le métabolisme des lipoprotéines et les désordres héréditaires associés.
- 1987 :Doctorat de l’Université Paris 6, en biochimie. Rapporteurs: P. Fromageot et P. Nicolas sur la caractérisation moléculaire des récepteurs opiacés et du VIP. Biologiste à l'Hôpital Laennec.
- 1988-1991 :"Fellowship" à Howard Hughes Medical Institute dans le laboratoire du Professeur Corbin à l'Université de Vanderbilt, Nashville (US), puis dans le laboratoire du Professeur Goetzl à UCSF (University California San Francisco, US). Travail sur les phosphodiestérases, kinases et clonage des récepteurs à sept domaines transmembranaires.
- 1992 : Chercheur de l'Institut de Biologie Moléculaire du groupe pharmaceutique de Hoffman-Laroche à Nutley ( New York,US ).
- 1993-1997 :Professeur adjoint à New York University (NYU), associé avec le Professeur Greenspan. Recherche financé par un contrat de la fondation Keck attribué à l'université sur un projet collectif de neurobiologie cellulaire et moléculaire. Contrat NSF (National Science Fondation).
- 1998 : L’année 1997 (à partir de Mars) et l’année 1998 (jusqu’ en octobre), sans activité scientifique académique, a été consacré au montage d’un projet d’entreprise ‘bio technologie’, transfert technologique avec d’autres collègues. L’idée consistait à cribler des drogues qui puissent corriger la paralysie et divers phénotypes exprimés par des mutants de drosophile “ température dépendant ” et des mutants transgéniques, inductibles transitoirement. Le financement étant lié à l’automatisation des procédures expérimentales, le projet n’a vu le jour que quelques années après. Depuis la « start up » repris par d’autres personnes a été « diluée » dans le monde économique des biotechnologies.
- 1998-2002 : Directeur de Recherche deuxième classe au Centre Européen des sciences du Goût, Université de Dijon, dirige équipe de « neurobiologie et comportement chez la drosophile ». Assure divers enseignements dans le cadre du DEA local et participe au montage d’un enseignement de neurosciences en maîtrise.
- 2003-2011 : Co-dirige l’équipe « écologie comportementale et moléculaire » dans la cadre de l’UMR INRA/CNRS/ Université de Nice 6243 : interactions biotiques plantes et insectes
- 2012-….Dirige une nouvelle équipe sur le même site (Sophia Antipolis, UMR INRA/CNRS/UNSA) suite à une restructuration de l’institut. L'UMR ISA a été évalué A par l’AERES. La nouvelle équipe GEP (Genome Environnement et Plasticité) a été évalué A par l’AERES. Equipe LabexSIGNALIFE qui fédère la biologie « niçoise »
Transfert technologique, relations industrielles et valorisation
J’ai participé au montage d’une compagnie «start up» en 1997 à New York. Ce projet consistait à analyser des molécules d’intérêt thérapeutique sur les déficiences génétiques de la drosophile comme modèle simple de pathologie humaine. Après de multiples rebondissements ce projet a survécu et repris par d’autres collègues.
Publications significatives
- Biochemical analysis of the transducin phosphodiesterase interaction: identification of specific G protein subunit amino acid residues required for phosphodiesterase activation. N. spickofsky, A. Robichon, W. Danho, D. fry, D. Greely, B. Graves, V. Madison, R.F. Margolskee. Nature Structural Biology 1994 Vol 1: 771-80
- Transducin in taste cells couples reconstituted bitter receptor to a taste tissue phosphodiesterase. S. McLaughlin, L. Ruiz-Avila, D. Wildman, P.J. Mckinnon, A. Robichon, N. Spickofsky, R.F. Margolskee. Nature 1995 Vol 376: 80-85
- Natural behavior polymorphism due to a cGMP dependent protein kinase of drosophila. K.A. Osborne, A. Robichon, E. Burgess, S. Butland, R.A. Shaw, H.S. Pereira, R.J. Greenspan and M.B. Sokolowski. Science 1997 Vol 277:834-36
- Behavior influenced by gene action across different time scales. Y.Ben Shala, A. Robichon, M. Sokolowski, G. Robinson. Science 2002 April 26 741-44
- Profiling the repertoire of phenotypes influenced by environmental cues that occur during asexual reproduction. Aviv Dombrovsky, Laury Arthaud, Terence N. Ledger, Sophie Tares and Alain Robichon. Genome Research 2009 Vol 11 2052-63